Monter en compétences grâce au drag ? Un exemple d’apprentissage vicariant

D’après Dancing with Myself: Model of Professional Identity Development via Intrapersonal Vicarious Learning, par Bianca Crivellini Eger et Daniel Newark (2022).  

L’identité professionnelle est au cœur de l’inclusion LGBT+ au travail. Faire son coming-out au bureau est une chose. Mais qu’on veuille se « montrer » ou non, la question de la progression reste entière. Comment développer sa personnalité professionnelle en tant que personne LGBT+ ? Dans un article de 2022, les chercheurs Bianca Crivellini Eger et Daniel Newark suggèrent que la pratique du drag permet, par procuration, d’acquérir certaines compétences et de les transférer à son « soi » au travail. 

L’apprentissage vicariant intrapersonnel

L’article présente, plus précisément, un processus de développement de l’identité professionnelle par l’apprentissage vicariant intrapersonnel. La vicariance désigne le fait de remplacer, de se substituer à autre chose ; par exemple, on dit d’un organe vicariant qu’il supplée à un autre organe, parfois par insuffisance fonctionnelle. Ici, un apprentissage vicariant intrapersonnel signifie qu’une seconde personnalité peut se substituer, pour un temps, à la personnalité professionnelle, afin de faciliter l’apprentissage de certaines compétences. 

L’étude se fonde sur une ethnographie réalisée auprès de professionnels italiens, travaillant aussi comme drag queens. Pour ces sujets, le personnage drag est un champ d’exploration : il permet de tester et développer des qualités professionnelles, intéressantes pour le « soi professionnel principal ». Une fois acquises par l’alter ego, ces qualités  sont adaptées, puis transférées à ce « soi professionnel principal ».  C’est ce processus que Crivellini Eger et Newark appellent l’apprentissage vicariant intrapersonnel.

L’importance du compartimentage

Ce processus repose sur une aptitude particulière à distinguer deux « soi » : le soi professionnel d’une part, et la personnalité drag. Les deux personnalités ne sont indépendantes, mais presque : l’alter ego n’est pas seulement une variante du soi principal, mais un second soi différent du premier. Il est d’ailleurs frappant, dans des émissions comme Drag race, de voir les artistes parler de leur personnage à la 3e personne. 

Pourquoi ce compartimentage, totalement subjectif ? D’après Crivellini Eger et Newark, il s’agit d’une condition nécessaire à l’exploration de la personnalité drag. En séparant ses deux « soi », le sujet  réduit la pression qu’il aurait pu ressentir : par exemple, quel est le sens de mon métier et de ma démarche drag ? Comment puis-je trouver une cohérence à tout cela ? Comment insuffler à mon « moi principal » ce que j’apprends en drag ? En éloignant cette pression existentielle, le sujet se libère. Il s’autorise à tester des comportements qui auraient pu faire l’objet d’une autocensure, si l’objectif du drag avait directement été l’acquisition de compétences. 

En somme, le drag est un terrain propice à l’apprentissage professionnel. Toutefois, le modèle de Crivellini Eger et Newark ne semble fonctionner qu’à une condition : que sa pratique reste libre, et non un outil de développement de carrière.

Référence

Crivellini Eger, B., & Newark, D. (2022). Dancing with Myself: Model of Professional Identity Development via Intrapersonal Vicarious Learning. In Academy of Management Proceedings (Vol. 2022, No. 1, p. 16194). Briarcliff Manor, NY 10510: Academy of Management.

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